Défi 278 avec Jazzy
Jazzy vous propose pour ce défi 278 d’inventer une histoire à partir de ce tableau
"Fuyant la critique" de Pere Borrel del Caso.
1874
Cela se passa une fin d'après midi d'été, au musée du Prado durant l'exposition consacrée aux œuvres de Pere Borrel del Caso et de ses enfants. Monique l'apprit par Joachim, alors gardien de musée.
Les visiteurs étaient partis, plus aucun bruit ne régnait dans la salle, le soleil pas encore à son crépuscule, dardait ses rayons d'or dans la pièce au plancher de bois. Une odeur d'encaustique, le volètement de quelques abeilles perdues dans cette salle tentant d'entrer dans un tableau de Cerdagne. Joachim avait choisi de rester pour admirer toutes les œuvres de cet artiste, de ses enfants aussi. N'était-il pas le père de 10 enfants dont plusieurs étaient devenus peintres ?
Il somnolait, le gardien, assis sur sa chaise, heureux d'être là. Il regardait avec curiosité cet enfant à l'expression si vivante, si vivante, mais, fait incroyable, l'enfant Juan bougeait, tournant la tête à droite, la tête à gauche, hésitant à traverser le cadre de bois doré. Il craignait de sortir de son connu pour un ailleurs imprévisible. A sa droite, des voies douces lui susurraient de ne pas avoir peur, ici, il serait un enfant choyé, jouant à des jeux extraordinaires, Nintendo, Switch, Mario. Les enfants étaient des rois, les corrections n'existaient plus, être enfermé dans sa chambre avec un bol de soupe abhorré ne serait pas possible. Des restaurants spéciaux, Mac Donald, Burger King ou autre Quick, lui offriraient des frites, des hamburgers, un cadeau. Les voix susurraient, devenant brume irisée.
Il semblait hésiter, et tournait sa tête vers Joachim, dans son costume noir, un homme ressemblant à Yannick Noah, même dent du bonheur, même sourire, même sympathie. Il n'avait pas de petites ailes. Le soleil le pailletait, l'ennuageait, et l'enfant le prit pour un ange. Joachim ne pouvait qu'acquiescer. Aujourd'hui les enfants restaient enfants longtemps. Plus d'apprentissage très jeune, plus d'enfants dans les mines. Plus d'enfants mendiants, enfin presque plus. Oui, des jeux, des tableaux vivants comme ce peintre aurait rêvé. Des images sur d'immenses écrans, le cinéma, les parcs d'attractions, mais toujours des guerres, toujours des malheurs, toujours des parents en proie à des soucis, de tous jeunes enfants de migrants, se noyant.
Joachim voyait un rêve se réaliser, celui du peintre, la liberté d'être dans ses tableaux . Il songeait à ce que l'enfant risquait de faire, de rencontrer, les bruits, les immeubles, les voitures, les odeurs fétides des villes. Et certainement plus ses parents, sa maison d'ocre dans les collines.
De l'autre côté, du tableau des "deux enfants" assez proche, un rire, une invitation à venir. Une enfant blonde, coquine, et son jeune frère l'appelèrent. " Juan, Viens, la voie est libre. Viens que nous allions courir dans les champs".
"Estrellita, Paquito, j'arrive !". En quelques secondes, il atterrit sur le sol, courut deux enjambées et sauta dans la toile, accueilli en frère, en ami.
Le gardien, médusé, entendit des rires d'enfants, dans le lointain, l'angélus, une odeur de fleurs et d'herbes mêlées.
Et le silence reprit sa place.
Pere Borrel del Caso
deux enfants
1880