Jusqu'où irons-nous dans la détestation du monde qu'on nous a fait et que nous bien contraints d'habiter ?
Notre amour du monde, qui ne peut que grandir, ne se résigne pas à la décomposition.
L'argent, par exemple. Dieu maudit.
Qu'est-ce qu'on ne peut ni acheter ni payer, parce que c'est irréparablement gratuit ?
L'amour.
L'amitié.
La confiance.
La foi.
La grâce.
Les sacrements.
L'intelligence.
Le ciel.
La terre.
L'air (... jusqu'à nouvel ordre).
La paix de l'âme.
Le goût de vivre.
Qu'est ce qu'il faut généralement payer et qui pourtant ne s'achète pas, parce que ça n'a pas de prix ?
Le soin du médecin.
La parole de l'enseignant.
L'écoute du thérapeute.
Bach, Schubert, Ravel, Rembrandt, Vermeer, Shakespeare, Molière, Descartes, Kant ; Bergson, Saint Augustin, Thomas d'Aquin, la Bible... et tous les autres !
Les rencontres.
Les groupements, associations, œuvres communes.
Qu'est-ce qu'on paie et qui s'achète mais qui, sans un peu ou beaucoup de ce qui ne s'achète pas, vire à l'inhumain ?
La nourriture.
Le logement.
Le vêtement.
Tous les objets, et spécialement les instruments de communication.
Qu'est-ce qui s'achète avec de l'argent, sans états d'âme, parce que payer suffit ?
Tout ce qui se prostitue.
L'argent pur, c'est le pouvoir de dire à l'autre : fais ça, viens, donne ; c'est-à-dire le pouvoir d'être enfin seul au monde, avec ses envies.
Il est vrai que toute gratuité menace la croissance et crée du chômage.
Logique de fous.
Ah ! que notre pensée ait déjà le tranchant de la lame ! L'action suivra.
Maurice Bellet
La traversée de l'en-bas