si l'un d'eux s'approprie son monde (François Roustang - il suffit d'un geste)
Les hommes se regroupent donc à partir d'embranchements de mondes. Leurs mondes s'entrejoignent parce qu'il y a un univers qui les précède, un univers qui est là, du moins encore pour aujourd'hui. C'est lui qui se charge, comme la vie, de faire de ces mondes l'unité provisoire et précaire.
Le solitaire sait que, pour l'humain, l'essentiel n'est pas d'abord de communiquer ou de retrouver les autres humains, mais de se vider de son propre monde pour laisser place à tout, de devenir une chose liée aux autres choses, et cela à l'infini.
Le soubassement du lien social n'est donc pas à chercher en un ajout qui lierait les humains entre eux. Il y a société humaine, parce que chaque humain est susceptible de créer une aire de circulation, donc une absence, un lieu vide qui conditionne le rythme de tout. En conséquence, une conséquence qui est toujours au début, chaque autre profite de la situation, profite de la circulation généralisée pour brancher son monde à lui qui est entré en mouvement.
Mais, dès que l'un d'eux, ou si l'un d'eux un moment, s'approprie son monde comme s'il l'avait créé une fois pour toutes, le flux s'immobilise et se fige. Son monde s'oppose à celui des autres, se ferme et entre en lutte. Il a oublié que son monde n'existait que s'il passait, que s'il devenait un passage, sans contrainte, mais également sans appui et sans point fixe, que s'il était, dans sa solitude, à une place privilégiée, la sienne, un élément quelconque de l'univers.
Par cet oubli, la violence s'instaure, les mondes ne peuvent plus que s'entrechoquer et s'entredétruire.
François ROUSTANG
Il suffit d'un geste