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Lettre à ma mère de Sergueï Essenine
LETTRE A MA MERE
Toujours vivante, ma vieille maman ?
Moi je le suis. Salut à toi, salut !
Que ruisselle encore sur ta vieille isba
l'ineffable lumière du soir !
On m'écrit que, celant ton tourment,
tu te fais pour moi bien du chagrin,
que souvent tu sors sur le chemin
dans ton caraco tout vieillot.
Que le soir, dans la ténèbre bleue,
une image obsédante te poursuit :
au cabaret, un quidam, lors d'une rixe,
plonge une lame dans le cœur de ton fils.
Rien de tout cela, mère ! N'aie crainte !
Ce n'est là qu'un vilain cauchemar.
Je ne suis pas encore tel endurci pochard
que je puisse mourir sans t'avoir revue.
Je suis comme avant, un tendre
qui ne rêve, sais-tu, qu'à une chose :
quitter au plus vite le spleen de la révolte
retrouver notre maison basse.
Je reviendrai lorsque le jardin tout de blanc
étirera ses branches à l'appel du printemps.
Mais il ne faudra plus m'éveiller aux aurores
comme tu le faisais il y a huit ans.
Ne vas pas rappeler les rêves passés
ni ranimer les desseins avortés ;
j'ai trop tôt connu dans l'existence
toutes sortes de fatigues et de manques.
Et ne me dis pas de prier. Surtout pas !
Au passé on ne retourne pas.
Toi seul es mon secours et ma joie,
toi seule es pour moi l'ineffable lumière.
Oublie donc, mère, soucis et angoisses,
ne t’afflige plus tant à mon propos.
Ne sors plus si souvent sur le chemin
dans ton caraco tout vieillot.
Sergueï Essenine
1924
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Commentaires
Je ne connaissais pas ce poème... il dit beaucoup.
Merci pour la découverte.
Passe une douce journée. Bisous.
Merci pour ce texte que je ne connaissais pas ...
Bonne fête aux mamans, aux femmes aussi qui en voulaient, ou qui n'ont pas pu ... ou qui ont voulu vivre autrement.
Gros bisous
Annick
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Bonne fête des mères et bisous