quel est mon plat préféré ? Carlo Pétrini (deux idées de bonheur)
Souvent, à l'étranger, les journalistes qui m'interrogent ne résistent pas à la tentation de me demander quel est mon plat préféré.
.. un peu par courtoisie, j'essaie de répondre. Quels sont les plats que je préfère, les plus lié à mon identité ? ... je finis par répondre que, sans aucun doute, les essentielles pâtes à la tomate représentent mon italianité, tandis que la bagna cauda, typique plat piémontais à base d'ail, d'huile et d'anchois, est le symbole gourmand de ma région.
Mais ensuite, si on y réfléchit, bien que ces plats représentent mon identité, aucun des deux n'est fait avec des ingrédients qu'on trouve dans la région. Les pâtes à la tomate : ni les pâtes, dont Chinois et Arabes se disputent l'invention, ni la tomate, originaire des Amériques, seulement importé au XVIe siècle et longtemps utilisée surtout comme plante ornementale (à Naples, au début, dans les recettes traditionnelles, on préférait le poivron) ne sont nées en Italie. Et pourtant, d'une certaine manière, elles représentent aujourd'hui l'essence gastronomique de notre pays.
Et la bagna cauda : le Piémont, comme son nom l'indique, est une région en grande partie entourée de montagnes, et la mer est loin. Il n'existe donc pas d'anchois piémontais, ceux que nous mangeons arrivent de Ligurie voisine, qui, elle, a une belle mer. Et, en dehors de cas très rares, l'olivier n'est pas cultivé dans le Piémont, donc il n'existe pas d'huile d'olive extra-vierge piémontaise. Deux des ingrédients fondamentaux de la bagna cauda ne sont pas locaux, mais proviennent d'échanges commerciaux et de rapports avec les voisins ligures. Qu'est-ce que tout cela signifie ?
Cela signifie que l'identité est toujours engendrée par l'échange, qu'elle n'existe pas sans le rapport avec les autres ; c'est une nouvelle démonstration du fait que nous avons déjà observé, à savoir que la nourriture est toujours un réseau.
Et si la thèse selon laquelle le bonheur a aussi la forme d'un réseau, si on veut vraiment lui donner une forme, la solution est vite trouvée. Nous ne sommes personne, et nous ne sommes pas heureux, si nous sommes fermés, si nous sommes seuls. L'aliment nous représente, nous ramène à une communauté parce qu'il en est le symbole iden titaire, parce qu'il est familial et que nous le reconnaissons comme affectif et rassurant d'une certaine manière.
Carlo PETRINI
(deux idées de bonheur de Luis Sepulveda et Carlo Petrini)