le muguet rouge (Christian BOBIN)
Les grosses voitures noires des politiques - réservées pour le cercueil de la vie privée. Des gens instruits nous mènent à la catastrophe. Je n'ai pas ouvert le journal. Je suis allé chercher les nouvelles du jour dans les Pensées. Au siècle de Pascal on jette de la paille sur les pavés devant les demeures où s'agite un mourant, afin que son agonie ne soit pas injuriée par le grincement bonhomme des roues des carrosses. Les pensées sont le goutte-à-goutte de cette agonie ; que nul ne se détourne de son néant. Au terme du chemin qui menait au champ-vieux, il y avait un sureau. La fleur de cet arbre est une paume tournée vers le ciel. Ses fruits, de minuscules planètes mauves. Elles explosent, acides sous la dent. Pascal est ce sureau.
Les dieux de l'air viennent buter contre mes joues pour apprendre ce que ça fait, d'être mortel. Mes souliers, deux vieux chiens de cuir qui s'ébrouent dans la poussière. Les os d'un poème ancien craquent sous mes pieds. Un vent puissant roule les feuillages. Le convoi de l'éternel avec ses trente tonnes de lumière.
La sainteté est un bond non spectaculaire hors du monde.
Comme d'un animal maigre, on le voit palpiter, le cœur.
Je roulais sur les routes du Morvan quand je vis dans le rétroviseur ma vie doublée. Ma mort aussi. Autre chose commençait. Je me souvenais de la fin du monde et de qui l'avait amenée. C'était il y a longtemps.
Christian BOBIN
Le muguet rouge