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Défi 218 auprès de mon arbre

Défi 218 auprès de mon arbre

 

Imaginez, pour le défi de ce lundi, que vous êtes un arbre (chêne, bananier, charme, ce que vous préférez) et racontez votre histoire en une trentaine de lignes.

Au début de votre texte, vous insérerez une citation ou un proverbe relatif à un arbre.

 

Les mots sont comme les glands. Chacun d'eux ne donne pas un chêne, mais si vous en plantez un nombre suffisant, vous obtiendrez sûrement un chêne tôt ou tard.

William Faulkner

 

Je me souviens d'une promenade dans la campagne lorraine. Le printemps éclatait, le vert se multipliait et les oiseaux bâtissaient leurs nids. Je me pressais, l'orage approchait et soudain la pluie m'éclaboussait. La chienne tirait fortement sur la laisse, sous l'emprise d'une frayeur incontrôlable. Sous un chêne, je trouvais un abri. Les éclairs claquaient, fouets d'un ciel en désordre. Une lumière zébra le sol, un craquement sinistre l'accompagna. 

Quand je relevai la tête, sensation étrange, je ne sentis plus mes deux mains. "Étais-je dans le coma, chamboulée par l'éclair ?" La pluie tombait drue et mes sensations changeaient ; j'étais heureuse de cette pluie qui s'éparpillait sur mes feuilles. 65 ans, tout comme moi, tiraillements des branches, de grandes en petits embranchements, fleurs qui me grattouillaient. J'étais le chêne ! Sooooannnnnnnnn, le vent s'infiltrait, dansait à travers les branches. Etre un chêne, ne plus trembler comme une feuille, vibrer à l'unisson de tout : feuilles, animalcules, oiseaux, racines et air. Se nourrir, mes racines profondes avaient trouvé le chemin du ruisseau et envoyait la sève du bas en haut. La pluie cessa, à mon pied, vase évasé, formidablement puissant, mon corps d'humaine endormi, fragile et limitée humaine. Le chien était couché tout contre et diffusait sa chaleur.

Vibrer chêne, mes feuilles s'égouttaient, un couple de geai jasait ; la femelle couvait cinq oeufs blancs aux tâches verdâtres, attendre patiemment la naissance puis les cris, les premiers vols. Des fourmis grimpaient sur mon tronc, à la rencontre des pucerons. J'agitais mon houppier et voyait le soleil se coucher, jaune, rouge, or flambant. Quelle magnificence ! Incroyable cette sensation d'étirement, de largeur, de profondeur. Des mésanges s'approchèrent pour se coucher. Pas très loin des vaches brunes et blanches rejoignaient leur abri. Elles venaient les moments de soleil dardant, se coucher sous mon ombre, quelquefois même, elles se frottaient contre mon écorce pour stopper les piqûres des infernales mouches.

J'étais un chêne et mes souvenirs d'humaine s'estompaient, ceux d'une femme qui devaient encore marcher une heure avant de retrouver sa voiture. Oublié le dérangement climatique, oublié la centrale nucléaire aux nuages gros et ronds, dépassé les tracas quotidiens et même les moments doux à lire les livres des trois amis ou les poèmes de Thomas Vinau. Je me balançais en rythme avec les feuilles nouvelles et savourait la sève nourricières. Des mésanges, quelques moineaux se posèrent et repartirent. Le pré se piquait de fleurs de pissenlits. Tout près de mon tronc, dans sa petitesse admirable, une fleur nouvelle haute comme trois rouge-queue veillait sur moi. La nuit s'approfondissait,  la lune tentait la hulotte. Une petite brume enveloppa le corps de l'humaine.

Je me sentais vaste comme le monde, vaste ; plus loin un chêne cousin m'envoya ses effluves amicales. Je comprenais comme le monde était relié. Et à l'aube vivifiante, le pissenlit se tourna et me chuchota, "il est l'heure, dame blanche, il est l'heure, vos frères vous attendent". Le brouillard se fit épais et dense, lentement, précautionneusement, mon corps de femme se réveilla. Des tremblements me saisirent, Le chien, queue en panache, heureux, me lècha. 

Je n'étais plus chêne  juste une femme âgée  dans un monde à la grande beauté souvent menacée. Et  je gardais au fond de moi l'espérance d'un monde où tous les vivants nous vivrons tous reliés : vent, étoiles, abeilles et renards argentés. Le chêne continua sa mission, élever des glands pour qu'ils poussent par milliers.  Et il m'arrivait d'aller m'asseoir sous lui et de vibrer à l'unisson.

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A
Intervention du merveilleux, suspense, pour une histoire vraiment passionnante !
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G
devenir un chêne   !  quelle belle expérience!
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J
belle histoire... si les coup de foudre n'étaient pas plus dangereux...
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D
Un beau voyage au pays des chênes. J'ai adoré !
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L
Oh que c'est beau et bien raconté !!! Merci Andrée, ton conte m'a enchantée...<br /> Bisous
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