-
la tyrannie de l'évaluation - Miguel Benasayag (Fonctionner ou exister)
la tyranie de l'évaluation
... de faire en sorte que notre vie s'apparente à un curriculum vitae, une ligne sur laquelle on va, à chaque situation, éviter les points X qui demandent un pari et exposent à courir des risques.
...
Aujourd'hui, les nouvelles pratiques d'évaluation permanente, dont les évalués sont eux-mêmes acteurs, font que chaque individu devient un bilan de compétences utiles dans vie, un bilan qui accompagne la machine dans son fonctionnement... Du berceau au cercueil, on désire être évalué, pour mieux éviter d’exister, pour essayer d'être des machines performantes.
Contrairement à ce que l'on pourrait penser, ceci n'est pas réservé au "petits employés et ouvriers", bien au contraire : tout le monde est invité, toute sa vie, à se vivre comme un bilan de compétences.
Ainsi, lors de mes passages plus ou moins heureux par l’université, j'ai pu constater qu'un tel n'allait pas écrire un article qui ne concernerait pas exactement son domaine, par peur de représailles. J'ai connu des lieux où l'odeur de la peur était permanente, je ne m'attendais pas à trouver la même odeur dans les salles universitaires... On fera le doctorat, le postdoc et la carrière qui serviront son curriculum, en laissant de côté toute affinité ou curiosité élective (quand elle existe). Ainsi les gens qui réussissent bien dans l'élite ne vivent-ils souvent pas non plus : ils font bien attention à fonctionner. Ils passent leur temps à se dire que demain ils pourront faire ce qu'ils veulent, mais demain arrivent de nouvelles surcontraintes - non pas des contraintes de vie, mais des surcontraintes disciplinaires, de peur, de bêtise.
Tout cela fait que ce n'est jamais le bon moment pour faire quelque chose.
Voilà comment on fabrique, d'un côté, des jeunes terrorisés parce qu'ils doivent faire un curriculum et, de l'autre, des vieux qui campent au-dessus de leur curriculum.
Miguel BENASAYAG
Fonctionner ou exister ?
-
Commentaires
On vit dans une société de râleurs jamais contents qui demandent toujours des comptes sur tout, alors pour prévenir la râlerie on vous demande de noter tout le monde.... On doit même noter si on a mal au pied entre zéro et dix...
Trêve de plaisanterie, c'est le mental qui règne en maître : comparer, mesurer, évaluer, c'est son truc préféré.Et tout cela commence déjà à l'école ou l'esprit de compétition fait des vannant et des perdants souvent avec le soutien des parents ... comme je déplore ces faits sociétaux !!!
Amitié .Je partage cette analyse. Depuis quelques années les notations sont apparues partout, ,avec les évaluations mensuelles, les bilans de compétences annuels. C'est très perturbant et plutôt démotivant. Bisous
Ajouter un commentaire
Je partage tout à fait ce point de vue, certains parents poussent tellement leurs enfants à la performance qu'ils en font des malades. J'en ai l'exemple dans ma propre famille où ma petite fille a été tellement contrainte à l'excellence qu'elle a tout abandonné alors qu'elle était effectivement très brillante et qu'elle est devenue d'une grande fragilité psychique. Je tremble pour mon petit fils qui fait du foot alors qu'il n'aime pas ça (il m'a dit aux dernières vacances qu'il voudrait faire du piano) mais aussi du judo, de l'anglais et que mon gendre l'appelle "mon presque 8 ans" tout comme il l'a appelé "mon presque 7 ans", etc... etc... lui volant ainsi ses années d'enfance pour le pousser dans un ailleurs qu'il ne maîtrisera sans doute jamais. Cette fuite en avant vers la performance est une hérésie totale et je souffre vraiment pour mes petits enfants.