-
Par durgalola le 4 Mai 2022 à 14:00
Des leçons particulières en mai
J'essaie de t'apprendre le cyrillique des odeurs :
que le géranium sur le balcon d'en face
est plus qu'une fleur
que le tilleul en juin
est plus qu'un arbre
mais on n'avance pas assez vite.
Ton index suit l'ombre de la bougie
qu'un vent léger balance sur la page ouverte
en dessinant des frontières versatiles
entre toi et moi
pour te protéger
comme si tu étais le petit garçon
qui a perdu autrefois sa boîte d'aquarelle
en rentrant de l'école
et qui continue encore
à peindre le ciel perdu de son enfance et les collines
avec la même couleur.
Aksinia Mihaylova
Ciels à perdre
suivi de le jardin des hommes
11 commentaires -
Par durgalola le 30 Avril 2022 à 19:53
Aussitôt que la vie - listes de la colline et au delà - Journal
de Marie GILLET
Vers midi, le facteur a déposé une enveloppe un peu lourde, un livre offert par Marie GILLET, amicale et délicate attention.
Je me suis promis de le lire non à la vitesse d'une cigale, le livre aurait crissé de joie de tous ses mots, de tous ses paysages, mais au pas lent et certain de la tortue. Oui, suivre son chemin.
Chaque chapitre, histoire, est précédée d'une liste de mots. Ils font déjà rêver et tels des papillons se posent dans son journal au bon endroit. Ils résonnent dans la tête et m'invitent à les accompagner.
Marie aime sa Provence, son ciel bleu, ce vent qui de doux, fragile, caressant peut vous renverser, mistral impétueux. Oh, mais il n'y a pas que ça, les pâquerettes, les asphodèles, les chênes.
Alors ce livre de Marie, est un chemin à faire avec elle, telle un moineau, voletant d'arbre en arbre, ou telle un merle dont le chant fluté.
Elles chantent les asphodèles, chez nous, dans le vert très puissant du printemps, les cardamines au ton si sensible de mauve, se balancent dans la brise. Oui la nature, les violettes et les êtres aimés.
Et puis, j'ai tant apprécié les images, les sons, les senteurs qui virevoltaient, j'ai pris un stylo et ai écrit dans les marges toute cette beauté et cette profondeur qui faisaient bondir mon cœur. Oh cela ne m'arrive jamais, bien respectueuse, du prochain lecteur. Celui ci a été un livre du matin et il m'accompagnera encore un bout de chemin.
Je vous transcris trois extraits :
le premier choisi en ouvrant le livre au hasard.
"Sa forêt personnelle n'a pas pu naître. Dans celle de mon enfance, je sais que les chênes y sont aux mêmes places, immobiles, majestueux, tout prêts à accueillir un Roi qui viendrait y rendre la justice. En fermant les yeux, je sais retourner auprès de chacun, je ne me trompe pas de chemin car je peux suivre les empreintes de mes pas qui ne s'effaceront jamais. Je me dis que d'autres arbres poussent à leurs pieds, qu'ils agrandissent leur communauté. Une humanité de chênes."
page 128
le deuxième parce que comme elle je rentre les mains vides et me contente de mon apn pour me souvenir.
"Il est fort possible aussi qu'une des trois fleurs de l'amandier ait glissée dans le petit carnet, fleur que j'aurais précautionneusement arrachée avec moult délicatesse, le petit doigt en l'air peut être, ce qui m'aurait donné bonne conscience. Je ne le fais plus désormais et les vases sont inutilisés. Maintenant, je rentre les mains vides. Quand je jette des fleurs après qu'elles aient été fané, je trouve que c'est triste. Que peut ressentir une fleur qu'on cueille tout à coup ? Les êtres humains sont ils les seuls à ressentir de la douleur ? Cette fleur n'avait rien demandé et poussait jusque-là tranquillement... et puis voilà qu'un qui passe, qui la prend, qui l'exile de son herbe, qui la tue et qui la jette..."
page 68
le dernier extrait, plutôt quelques mots issus de sa liste du 15 février (jour de naissance de ma fille)
"bleu
ciel bleu
mer bleue
azur
bleu immense
bleu partout"
....
page 131
Ce livre est là, offert, pour être lu, surtout vécu. Je remercie chaleureusement Marie. Quel bonheur de te lire.
13 commentaires -
Par durgalola le 30 Mars 2022 à 16:03
Les hommes se regroupent donc à partir d'embranchements de mondes. Leurs mondes s'entrejoignent parce qu'il y a un univers qui les précède, un univers qui est là, du moins encore pour aujourd'hui. C'est lui qui se charge, comme la vie, de faire de ces mondes l'unité provisoire et précaire.
Le solitaire sait que, pour l'humain, l'essentiel n'est pas d'abord de communiquer ou de retrouver les autres humains, mais de se vider de son propre monde pour laisser place à tout, de devenir une chose liée aux autres choses, et cela à l'infini.
Le soubassement du lien social n'est donc pas à chercher en un ajout qui lierait les humains entre eux. Il y a société humaine, parce que chaque humain est susceptible de créer une aire de circulation, donc une absence, un lieu vide qui conditionne le rythme de tout. En conséquence, une conséquence qui est toujours au début, chaque autre profite de la situation, profite de la circulation généralisée pour brancher son monde à lui qui est entré en mouvement.
Mais, dès que l'un d'eux, ou si l'un d'eux un moment, s'approprie son monde comme s'il l'avait créé une fois pour toutes, le flux s'immobilise et se fige. Son monde s'oppose à celui des autres, se ferme et entre en lutte. Il a oublié que son monde n'existait que s'il passait, que s'il devenait un passage, sans contrainte, mais également sans appui et sans point fixe, que s'il était, dans sa solitude, à une place privilégiée, la sienne, un élément quelconque de l'univers.
Par cet oubli, la violence s'instaure, les mondes ne peuvent plus que s'entrechoquer et s'entredétruire.
François ROUSTANG
Il suffit d'un geste
13 commentaires -
Par durgalola le 12 Mars 2022 à 14:00
Braise
J'étais chez moi à me débattre entre les poubelles, les idées sombres et les steaks hachés crus. Les pieds déjà bien enfoncés jusqu'aux chevilles dans cette drôle de matinée gadouillée de mort et de lumière. Et je le vois sur la terrasse. Posé là, sans bouger. Je passe, repasse, il ne bouge pas. Un coup sur la vitre, il ne bouge pas. Il est mort ou quoi? Non, il est debout sur deux minuscules pattes, beau comme une braise prête à s'envoler. Je me dis bon, il doit être mal en point. J'ouvre la porte-fenêtre, terrasse par les pieds, en chaussettes, le froid commence à chauffer. Je m'approche, m'accroupis, il ne bouge pas. Il est là bien vivant. Rouge-gorge immobile, impassible, impavide. Beau comme une braise prête à s'envoler. Je tends le bras, la main, le doigt. Je le caresse, tête, dos, ailes. Il ne bouge pas. Je caresse une braise. Sa petite tête d'une douceur sans nom qui pourrait être broyée en un claquement de doigt. Ses yeux, deux points noirs. D'un noir du fond de l'espace. Parfaitement rond, total, brillant. Bec en aiguille qui pourrait denteler la nuit. La flamme sur son ventre. Je n'en reviens pas. Pense à prendre une photo mais ça ferait trop de gestes, l'instant s'écroulerait. Je me dis le pauvre, il doit être mal en point. Malade, pas loin d'y passer. Je vais chercher une boîte, de la paille, de l'eau, du pain. J'y vais. Une fois tout rassemblé je reviens, il est là. Je distingue une fiente sur le carrelage de la terrasse derrière ses pattes brindilles. J'ouvre la porte et il s'envole d'un coup, comme une flèche, une flèche souple, une flèche qui aurait appris à danser. Et voilà, je reste là, avec la fiente, le froid du carrelage par les chaussettes, le soleil qui monte sur le mur, la mort embourbée. J'ai caressé une braise et elle s'est envolée.
Thomas VINAU
Vivement pas demain
petites proses de rien posées là dans la main
14 commentaires -
Par durgalola le 10 Mars 2022 à 14:00
Première neige
Né avec l'été, maintenant il regarde stupéfait
ce tamis débordant de farine - le jardin,
il tend craintivement sa patte vers le blanc,
la retire vite comme s'il s'était brûlé
et miaule tristement sur le seuil de la cuisine.
Comme quelqu'un qui s'est réveillé
avec des cisailles à la main
dans une saison décalée
et qui regarde fixement la haie vive
qui entoure le jardin étincelant
des premières amours, de la première mort
en attendant qu'on le prenne dans ses bras
et qu'on l'emporte à l'abri sous l'auvent.
Aksinia Mihaylova
Ciel à perdre
suivi de le jardin des hommes
13 commentaires
Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique