• NOTRE MER

     

    Notre mer qui n'es pas au ciel

    et qui embrasses les confins de l'île et du monde

    béni soit ton sel,

    bénis soient tes fonds.

    Accueille les bateaux surbondés

    sans une route sur tes vagues

    les pêcheurs sortis la nuit,

    leurs filets parmi tes créatures,

    qui reviennent le matin

    avec la pêche des naufragés sauvés.

    Notre mer qui n'es pas au ciel,

    à l'aube tu as la couleur du blé

    au couchant du raisin de la vendange, 

    nous t'avons semée de noyés

    plus que tout autre âge de tempêtes.

    Notre mer qui n'es pas au ciel,

    tu es plus juste que la terre ferme

    quand même tu élèves des vgues-murailles

    puis les abaisses en tapis.

    Garde les vies, les vies tombées

    comme des feuilles dans l'allée,

    sois pour elles un automne,

    une caresse, une étreinte, un baiser au frond,

    une mère, un père avant le départ.

     

    Erri de Luca

    Aller simple

    suivi de l'hôte impénitent


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  • "Tu te rappelles quand tu as lu ta première phrase, tu as dit que certains mots pouvaient vouloir dire des choses importantes ? demanda-t-il un jour, assis sur la berge du ruisseau.

    - Oui, je me rappelle, pourquoi ?

    - Eh bien, c'est encore plus vrai des poèmes. Dans un poème, les mots font plus que dire des choses. Ils éveillent des émotions. Des fois même, ils te font rire. 

    ...

    Ecoute un peu. Il est d'Edward Lear". Il sortit de sa poche une enveloppe pliée et se mit à lire :

    Puis Papa-Longues-Jambes

    Et Monsieur Ailes-Tombantes

    Coururent vers la mer

    A grands cris gais et clairs ;

    Ils trouvèrent un bateau

    Voiles roses et tout beau ;

    Et voguèrent loin loin

    Vers le ciel de demain.

    Tout sourire, elle commenta : "On dirait le rythme des vagues quand elles viennent se briser sur la plage."

    De ce jour, elle se mit à composer des poèmes, les inventant alors qu'elle sillonnait le marais dans sa barque ou ramassait des coquillages - des vers simples qui chantaient tout seuls et lui traversaient la tête. "Il était une maman geai, qui réussit à s'envoler, moi aussi je m'envolerais, si seulement je le pouvais." Elle en riait aux éclats, et ils remplissaient pendant quelques minutes solitaires le grand vide de sa longue journée.

     

    Delia OWENS

    Là où chantent les écrevisses


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  • je voudrais te dire les bulles d'air les irisations de la nuit et du jour les décolorés du monde les avant de voir pluies dorées dans les yeux de Benjamin les couleurs furieuses et magistrales des objets hindous la danse chavirante des gracieuses brahmanes 

    le mouvement qui ravit toute nuance toute couleur

    la beauté du monde

    le rire avec ses colliers de perles dans les bouches des enfants

    les vieux enfants que nous sommes

    je voudrais plaider pour ce qui reste de parole

    si nous courons autour du mot utile

    nous courons autour

    la margelle du puits où s'évanouit le mot utile

    avec autour les mots de trop

    le trop de mots

    si nous plaidons pour dessaouler ce monde alors il nous faudra

    le courage

    le cou rage

    le court âge

    le coeur rage

    le corazon

    l'espoir fou    le courage

     

    SAPHO


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  • Cherche la sauvagerie capable

    de déchirer les pierres.

    Ne passe pas ton temps dans les ailes, les nuages

    dans l'illusion de légèreté

    c'est confus, les mots, c'est dur

    ça bouillonne et ça coupe

    ça pèse son poids de mémoire et de douleur

    ça noircit, ça empêche, ça nourrit la nuit

    et ça ne remonte pas et ça ne fait pas son petite poème, ça ne fait pas de bulle

    ça ne germe pas, ça ne fleurit pas, ça grossit,

    jusqu'à tendre la peau de l'intérieur,

    la peau trop étroite de ce corps sans forme

     

    cherche la sauvagerie capable de mordre

    du serpent caché dans les hautes herbes,

    surtout pas un oiseau 

    les oiseaux sont des proies, les serpents 

    sont lisses comme des dagues

    les serpents savent écrire des poèmes qu'ils abandonnent 

    sur les pierres, au plein jour, au soleil

    avec l'ancienne peau.

     

    Cécile A. HOLDBAN


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  • CHOEUR

     

    De toute distance nous arriverons, à millions de pas

    ceux qui vont à pied ne peuvent être arrêtés.

     

    De nos flancs naît votre nouveau monde,

    elle est nôtre la rupture des eaux, la montée du lait.

     

    Vous êtes le cou de la planète, la tête coiffée,

    le nez délicat, sommet de sable de l'humanité.

     

    Nous sommes les pieds en marche pour vous rejoindre,

    nous soutiendrons votre corps, tout frais de nos forces.

     

    Nous déblaierons la neige, nous lisserons les prés, nous battrons les tapis

    nous sommes les pieds et nous connaissons le sol pas à pas.

     

    L'un de nous a dit au nom de tous :

    "D'accord, je meurs, mais dans trois jours je ressuscite et  je reviens."

     

    Erri de Luca

    Aller Simple


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